EN | fr
OBSERVE Magazine

Subscribe to our global magazine to hear our latest insights, opinions and featured articles.

Quand des AirPods surveilleront la résistance au stress

Odgers Berndtson France va publier une série d’articles de fiction relatives aux dirigeants et à la technologie, rédigés par Elisabeth de Castex, docteure en science politique, de Science Po Paris.

Janvier 2026

Brusquement, la courbe du stress - enregistrée via des AirPods conçus pour capter l’activité cérébrale (1) – s’emballe et indique un pic…. Axel, 63 ans, DG d’un groupe de laboratoires de virologie de haute sécurité, s’alarme : son âge serait-il lié à ce bug inhabituel de son cerveau ? Le temps de se poser la question, Mona, Directrice de l’Ethique et de Conformité, avait déjà reçu - sur l’écran minuscule fixé sur le coté de ses lunettes connectées - les données de l’incident, interprétées par l’algorithme comme étant « significatives et à surveiller ». Les TCMs (Technologies for Collective Minds), permettaient, depuis un an, la mise en réseau d’entreprise d’une intelligence hybride IA- humains, pour la coordination des cadres et la prise de décision collaborative optimisée en temps réel. Mona venait aux nouvelles : l’enregistrement d’ondes cérébrales traduisant des pics de stress récurrents entraine une incompatibilité avec la fonction de DG dans un environnement àhauts risques, indiquent les statuts de l’entreprise. Une certaine dose de stress est une réponse adaptative aux perturbations de l’environnement, visant à produire des comportements appropriés. Cette définition correspond à un stress dit « normal ». Mais qu’est ce qui est normal ? Qui décide du franchissement de la frontière de la normalité ? Cette fois ci, tout était rapidement rentré dans l’ordre. D’ailleurs le profilage de recrutement effectué 10 ans plus tôt, n'avait révélé aucune prédiction de comportement dysfonctionnel du stress pour Axel.

Si les manifestations de stress s’intensifient, serais-je obligée, se demande Mona, de signaler l’incident au Conseil d’Administration ? Ce dernier réclame avec insistance l’enregistrement de l’activité cérébrale des membres du Comité Exécutif, dans sa volonté de recourir aux nouveaux outils technologiques pour exercer ses responsabilités de surveillance. N’est-il pas légitime pour un Conseil d’Administration de vouloir préserver l’intérêt de la société, d’exercer ses responsabilités de « garde-fou ». Mais qui serait en réalité le « fou », se demande Mona ? le DG - qui répond à une situation difficile par un niveau de vigilance augmenté ; ou bien les membres du Conseil - qui s’apprêtent à entrer avec fracas dans la sphère privée du DG, niant tout respect d’une mental privacy ?

Mental privacy : après le secret médical, le secret cérébral.

D’abord limitée à certains groupes depuis les années 2015 : militaires, écoliers, conducteurs d’engins…, la surveillance de l’activité cérébrale, s’était étendue à de nombreuses strates de la société, dans des objectifs de productivité, de sécurité privée ou nationale et parfois de santé/ bien-être. Le recours à de telles neuro-technologies avait été boosté par ChatGPT : ce dernier propose des interprétations des états mentaux d’une personne à partir de l’analyse de ses ondes cérébrales.
Jusqu’à ce que la loi Liberté cérébrale, votée en France fin 2025, n’y mette un coup d’arrêt, avec l’interdiction pour les entreprises, quel que soit l’objectif recherché, de collecter, stocker et évaluer l’activité cérébrale des salariés à l’aide de technologies dédiées. Le législateur français venait de reconnaître la pertinence du concept de mental privacy : dans une époque de profilage généralisé par les IA, le respect absolu de la confidentialité de la sphère privée cérébrale constitue, face à des technologies capables de s’immiscer dans les moindres plis du cerveau, une liberté démocratique fondamentale. Désormais, au même titre que le secret médical, le secret cérébral est une liberté essentielle que le Conseil d’Administration a l’obligation de respecter. Mona ne transmettra pas les données au CA, elle va même devoir les détruire car cet enregistrement de l’activité cérébrale d’Axel via les AirPods est maintenant illégale. Une mise à jour des statuts de l’entreprise s’impose, afin de les mettre en conformité avec la nouvelle loi Mental privacy.

Elisabeth de Castex

Elisabeth de Castex

(1) Exemple inspiré de l’ouvrage de Nita A. Farahany. The Battle for your brain. Defending the right to think freely in the age of
neurotechnology. New-York : Saint Martin’s Publishing Group, 2023.

Find a consultant [[ Scroll to top ]]